C’est ce qu’a affirmé le sous-ministre de Services publics et Approvisionnement Canada, Paul Thompson, lors de son témoignage, lundi, devant le Comité parlementaire des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires.
M. Thompson avait été invité à s’exprimer devant ce comité parlementaire aux côtés de la ministre Helena Jaczek et de la sous-ministre adjointe déléguée à l’Approvisionnement, Mollie Royds, dans le cadre de l’enquête sur l’octroi de contrats fédéraux à la firme de consultants McKinsey depuis 2011.
Lundi, le député néo-démocrate de Courtenay-Alberni, Gord Johns, a soulevé diverses allégations qui planent sur McKinsey : une affaire de corruption en Afrique du Sud, de l’interférence lors des présidentielles en France mais surtout le rôle joué par le cabinet-conseil dans la crise des opioïdes aux États-Unis.
Pensez-vous qu’il soit approprié que le gouvernement du Canada récompense une firme comme McKinsey à coups de millions de dollars en contrats fédéraux si on tient compte de son implication dans la distribution d’un médicament qui a déjà tué des milliers de personnes?
a demandé cet élu de la Colombie-Britannique, la province canadienne la plus touchée par la crise des opioïdes.
En 2021, McKinsey a accepté de payer 573 millions de dollars américains à plus de 45 États dans le contexte d’une poursuite pour le rôle qu’elle a joué dans la crise des opioïdes aux États-Unis, notamment en prodiguant des conseils à Purdue Pharma et à Johnson & Johnson afin de stimuler la vente d’OxyContin, un analgésique qui crée une forte dépendance.
Nous surveillons attentivement la situation concernant les allégations et les activités mentionnées par le député
, a répondu le sous-ministre Paul Thompson. Ces activités n’ont pas déclenché notre régime d’intégrité, en ce sens où aucune des filiales de McKinsey n’a fait l’objet d’une condamnation criminelle, et c’est ce qui franchirait la limite au regard de notre régime d’intégrité.
Mis en œuvre en 2015, le régime d’intégrité canadien (Nouvelle fenêtre) vise notamment à ce que le gouvernement fasse affaire avec des fournisseurs dont le comportement est conforme à l’éthique au Canada et à l’étranger
.
Une ignorance qui inquiète
La ministre Helena Jaczek a pour sa part soutenu avoir été informée des différentes allégations dont fait l’objet McKinsey la semaine dernière seulement, lorsque Gord Johns a évoqué le rôle de cette firme dans la crise des opioïdes devant le Comité.
Outre M. Johns, cet aveu a fait sursauter les conservateurs Michael Barrett et Kelly McCauley, qui préside par ailleurs le Comité parlementaire. M. McCauley a réquisitionné quelques-unes des précieuses minutes des travaux du Comité pour se dire extrêmement inquiet
, entre autres.
Une simple recherche Google montre une multitude de pages qui portent sur des pratiques frauduleuses dans le monde entier
, a-t-il dit… puis redit.
« Nous demandons que vous fournissiez à ce comité de l’information fiable, noir sur blanc, à savoir comment ce supposé test d’intégrité est conçu pour évaluer ces entreprises. »
Je suis bouche bée d’entendre que vous n’étiez pas au courant des allégations qui pèsent contre McKinsey
, a ajouté M. McCauley. Pas que je doute de votre honnêteté aujourd’hui, mais je trouve cela extrêmement inquiétant.
De son côté, le député Michael Barrett, qui a questionné la ministre Jaczek de façon serrée à ce sujet, s’est montré très insatisfait des réponses fournies. Ce sont des réponses très décevantes, c’est le moins qu’on puisse dire
, a-t-il laissé tomber après l’échange, qu’il a par la suite qualifié d’étonnant sur Twitter.
L’ignorance de Mme Jaczek quant aux allégations qui pèsent sur McKinsey est d’autant plus surprenante qu’elle a été spécialement chargée par le premier ministre, avec sa collègue du Conseil du Trésor, Mona Fortier, de procéder à l’examen des contrats fédéraux octroyés à cette firme.
Sous pression en raison des révélations des médias, y compris Radio-Canada, en ce qui concerne l’influence grandissante de McKinsey, Justin Trudeau avait procédé à cette annonce le 11 janvier dernier. Les résultats de cet examen seront transmis au Comité dès que possible, a par ailleurs fait savoir la ministre Jaczek.
Dépendance aux cabinets-conseils
Outre la crise des opioïdes, le témoignage de Paul Thompson a évoqué une autre dépendance troublante : celle du gouvernement fédéral aux données et aux outils fournis par quelques cabinets-conseils, y compris McKinsey.
C’est surtout la députée bloquiste Julie Vignola qui a mené la charge cette fois-ci en tentant de faire la lumière sur les droits exclusifs accordés à McKinsey au moment d’octroyer certains contrats qui portent sur l’analyse comparative de données.
Si je comprends bien, ils [McKinsey] ont des droits exclusifs parce qu’ils ont vendu au Canada des méthodes de travail, des outils, que nos fonctionnaires, dans l’entente, n’ont pas l’occasion d’appliquer par eux-mêmes? Donc on est dépendants, à ce moment-là, de ce qu’on a acheté?
a demandé la députée de Beauport-Limoilou.
Exactement
, a répondu M. Thompson. Ces firmes, McKinsey et les autres, sont propriétaires des sondages et des données qui sont utilisés pour faire des analyses comparatives avec d’autres pays ou entreprises.
Le sous-ministre a ainsi expliqué que le gouvernement a besoin des données que possède une firme comme McKinsey pour mener les analyses comparatives qui lui permettent ensuite de prendre des décisions déterminantes en matière de gestion et de productivité ou en ce qui concerne des réorientations majeures, par exemple.
Dominic Barton refait surface
La semaine dernière, c’est l’ancien directeur mondial de McKinsey Dominic Barton qui est venu témoigner devant le Comité. Il a notamment nié avoir une relation privilégiée avec le premier ministre Justin Trudeau, qui l’avait par ailleurs nommé ambassadeur du Canada en Chine, un poste qu’il a occupé du 5 septembre 2019 au 31 décembre 2021.
Le nom de M. Barton a justement refait surface lundi dans un document du gouvernement qui indique qu’il a reçu un contrat à titre personnel de la part d’Affaires mondiales Canada pour la période 2021-2022. La somme qui lui a été versée s’élève à 148 059 $.
Radio-Canada a contacté le ministère afin de connaître la nature du contrat, qui n’est pas révélée dans les comptes publics 2021-2022 (Nouvelle fenêtre) du gouvernement.