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Un chemin forestier bloqué depuis un an à Manawan

by | Feb 1, 2023 | Uncategorized


Quelques traces sur la neige témoignent d’une faible circulation vers le chemin forestier en direction de La Tuque : quelques villégiateurs, chasseurs, Atikamekw ou gens de pourvoirie. Il y a un an, de nombreux camions de bois y passaient. Au barrage, deux personnes maintiennent la garde.

Le grand panneau qui rappelle aux passants qu’ici, c’est le Nitaskinan, territoire ancestral atikamekw, trône toujours à l’avant. Il y a un an, une première entreprise forestière avait dû cesser ses activités sur un territoire familial à la demande de la famille Echaquan.

Puis, la famille Dubé avait à son tour demandé la fin des activités d’une deuxième entreprise à cause notamment d’un chemin forestier aménagé au milieu d’une érablière qui devait être protégée. Une enquête avait conclu à une responsabilité partagée entre le gouvernement et la compagnie.

Dressé il y a un an, le barrage tient toujours, jour et nuit. Deux hommes tiennent la garde ce matin. Alain Ottawa sort de sa caravane pour vérifier qui souhaite passer.

Cet Atikamekw reste en permanence au kilomètre 60. Dans un carré de bois, la télévision propose un programme de sport, de l’eau chauffe sur le poêle à bois, le froid se fait mordant dehors et le confort est minime. Mais cela ne dérange pas l’homme de 52 ans.

Alain Ottawa regarde un panneau sur lequel est écrit : « Dites-leur que nous n'avons jamais cédé notre territoire ».

Alain Ottawa observe une citation de César Newashish sur le territoire qui l’inspire beaucoup.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Il brandit un panneau qu’il a confectionné avec une citation que de nombreux Atikamekw récitent quand ils parlent de notcimik, la forêt. Le mot veut aussi dire là d’où je viens en atikamekw nehirowimowin.

C’est ma vie, je suis venu au monde ici, je vais mourir ici, lance Alain Ottawa avant même qu’on lui pose une question. Il aime Manawan, mais l’important pour [sa] communauté, c’est le territoire!

« Si je restais à Manawan, c’est comme si je ne faisais rien pour mon territoire. Je ne suis pas venu pour faire la guerre, pas juste pour barrer le chemin. Je suis ici juste pour sensibiliser… que le bois, c’est notre vie. »

— Une citation de  Alain Ottawa

Les chefs de territoire, ceux qui surveillent et autorisent l’accès aux ressources sur leur territoire ancestral familial, ont recommandé le maintien du barrage pour le respect des droits atikamekw et dans le respect des échanges actuels. C’est un moyen de pression des chefs de territoire pour voir la finalité des discussions avec les comités de travail, explique le chef du conseil des Atikamekw de Manawan, Sipi Flamand.

Quelques avancées

En coulisse, les discussions se poursuivent. Depuis juillet 2022, un comité de suivi et de mise en œuvre, composé de représentants de Manawan et du ministère des Ressources naturelles et des Forêts, se réunit régulièrement pour assurer le suivi et la mise en œuvre de 15 recommandations établies conjointement.

Elles se déclinent en trois parties : le processus de consultation, l’harmonisation des usages et les droits sur le territoire, et enfin, les retombées économiques liées à la gestion et à la mise en valeur des forêts pour la communauté de Manawan.

Dans le cas de certaines recommandations, des avancées ont été réalisées, mais la majorité des recommandations font présentement l’objet de discussions, indique dans un courriel la conseillère en communication au ministère des Ressources naturelles et des Forêts, Anik Martel.

Un gain important a déjà été effectué, selon Sipi Flamand. Manawan souhaitait que les consultations sur la foresterie s’étalent sur un territoire d’application de plus de 20 000 km2 plutôt que de 11 000 km2. C’est chose faite.

Sipi Flamand pose pour la caméra dans son bureau. En arrière, un médaillon avec l'inscription Conseil de bande de Manawan.

Sipi Flamand, le nouveau chef du Conseil des Atikamekw de Manawan, affirme que les discussions avancent dans le dossier de la foresterie. Une rencontre avec les chefs de territoire a eu lieu récemment.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Parmi les autres recommandations qui prennent plus de temps à aboutir : la consultation des Atikamekw avant tout plan d’aménagement forestier, mais aussi la question des redevances, un dossier quand même épineux, reconnaît Sipi Flamand.

Selon le rapport du comité mixte de juin dernier, la communauté de Manawan reçoit environ 2 millions de dollars annuellement par des contrats de réalisation de travaux sylvicoles, des permis pour la récolte de bois ou du financement pour la participation à la consultation sur les plans d’aménagement forestier.

Or, l’industrie forestière paie au gouvernement du Québec des redevances annuelles moyennes d’environ 16 millions de dollars pour le territoire de Manawan, est-il précisé par le comité mixte.

La communauté souhaite obtenir une part équivalant à 40 % de ces redevances. Les échanges continuent donc.

On veut aussi embarquer les compagnies forestières dans cette mobilisation pour qu’elles puissent entretenir une entente avec la communauté de Manawan, indique Sipi Flamand. Des discussions ont d’ailleurs eu lieu avec certaines compagnies forestières, poursuit-il.

Mais ça prend davantage de consultation, de dialogue avec eux et le gouvernement pour aller chercher les redevances qui vont bénéficier aux familles, mais surtout pour le développement économique de Manawan, précise-t-il.

Des entreprises qui observent

Le directeur principal, affaires publiques et relations gouvernementales de Produits forestiers Résolu, Louis Bouchard, indique justement avoir signifié la disponibilité de l’entreprise à participer, au moment opportun, aux discussions menant à l’implantation des recommandations.

Actuellement, le groupe n’est pas encore activement partie prenante du processus, mais des rencontres ont eu lieu. Nous continuons à maintenir des relations harmonieuses […]. Nous souhaitons qu’il en demeure ainsi afin que toutes les parties y trouvent leur compte, précise-t-il.

De son côté, le président-directeur de la Scierie Saint-Michel, Jean-François Champoux, dit être en attente des résultats des rencontres entre Manawan et le ministère.

Jean-François Champoux assis derrière son bureau avec une casquette sur la tête.

Le président-directeur de Scierie Saint-Michel, Jean-François Champoux, espère que le dossier va se régler rapidement. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Depuis le retour des fêtes, les discussions se sont accentuées. On a mis le poing sur la table avec le gouvernement, surtout que le bois qui est là est à risque de se détériorer, il faut le sortir avant la fin de l’hiver, explique Jean-François Champoux.

Sa compagnie est impliquée dans l’affaire de l’érablière. Si ses camions ne passent plus par le kilomètre 60, il dit réussir quand même à maintenir des activités en allant dans d’autres secteurs. Il dit aussi avoir déposé une offre de partenariat économique à Manawan.

Des carrés de tentes sous la neige avec un chiot devant.

Jour et nuit, quelqu’un maintient la garde au barrage. L’objectif est d’empêcher les équipements forestiers de passer, mais avant tout, de faire de la sensibilisation.

Photo : Radio-Canada / Marie-Laure Josselin

Un échéancier pour chacune des recommandations a été proposé. Il s’échelonne de quelques mois à quelques années, selon le ministère.

La mise en œuvre de celles-ci représente toutefois un grand défi, indique Anik Martel, puisque les actions à mettre en œuvre sont nombreuses et nécessitent des efforts importants de toutes les parties concernées. D’autant plus qu’il faut intégrer des solutions durables et cohérentes dans le respect des obligations et de la volonté de chaque partie.

Manawan se donne trois ans pour mettre en œuvre toutes les recommandations.

Fin 2021, les chefs de territoire atikamekw avaient fait part de leur ras-le-bol, d’abord à leur conseil, puis au premier ministre du Québec. Ils dénonçaient des consultations bidon, un appétit vorace des forestières, la dévastation de leur territoire, le non-respect des ententes, mais aussi le montant des redevances qu’ils qualifiaient de ridicule.

Manawan a, dans la foulée, mis en place plusieurs moyens de pression, dont un moratoire et le barrage au kilomètre 60.



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